La première fois où elle me parla de Manoel Ferreyra Vaz, il n’y avait pas la moindre trace d’amour dans sa voix, c’est ce qu’il me sembla alors, mais une excitation juvénile à l’idée d’évoquer le passé, elle agita ses petites mains tachées, on s’attendait à la voir battre des mains, des petites mains pecosas, tengo las manos pecosas, j’ai les mains couvertes de taches, sa mémoire était intacte et elle m’avait tout de suite reconnue. Je l’avais rencontrée une première fois sur l’une des plages de La Corogne, la Riazor je crois, la deuxième ce fut dans le chœur de la cathédrale Saint-Nicolas – je faisais alors une thèse sur la transition entre le roman et le gothique et passais le plus clair de mon temps dans les églises – et je la retrouvais miraculeusement dans ce petit jardin de San Carlos, à la pointe de la vieille ville, un jardin dit « exotique » qui aurait dû lui rappeler l’Afrique, (elle y venait peut-être pour cela), avec en surplomb ce tombeau de sir John Moore qui lui évoquait sans doute d’autres Anglais et d’autres sépultures, mais elle avait beau remuer son éventail en soupirant, la moiteur de l’Afrique n’y était pas, ni les cris des singes, ni la lente progression des lémuriens, ni la courbe des fleuves traînant leurs eaux plates entre des rives herbeuses et je m’assis sur le banc à côté d’elle « Quelle bonne surprise ! Si je m’attendais à vous rencontrer ici ! » et elle feignit le contentement et je feignis la surprise et, quitte à m’imposer un peu plus (mais les femmes âgées ont cette supériorité sur nous, elles ont le temps, elles ont tout leur temps), je lui demandai à nouveau de me parler de « là-bas »…
Annie Massacry est née à Saint-Denis-du-Sig en Algérie. Après des études de langue et civilisation espagnoles à la Sorbonne et une carrière de professeur, elle se consacre à l’écriture. Sa formation universitaire et son éclectisme la portent tout naturellement vers des styles et des univers littéraires multiples. Après l’épopée et la veine hispanique dans Nos vies sont des rivières (2015), le roman naturaliste à la française avec Les épopées tranquilles (2017), elle dévoile, avec Julio et moi (2019), une nouvelle facette de son talent : son style, brillant, rappelle les épistoliers du xviiie siècle. Elle publie ensuite Angola, entre les brumes de nos mémoires (2020), où son art de conteuse flirte avec Joyce, Faulkner et Borges. En 2023 elle nous tisse, avec À l’ombre des volcans, une intrigue policière surprenante. Et elle nous prouve aujourd’hui, avec Tandis qu’elle agonise, son fabuleux talent de nouvelliste. Il faut lire Annie Massacry !
En savoir plusRipple-marks (1976) est peut-être le plus grave des livres de Muno.
Dayez s’intéresse, cette fois, à la justice pénale en tant que système. Façon de boucler la boucle en examinant les traits fondamentaux de tout l’édifice, ses lignes vectrices, et ce dans un double but : d’une part, montrer que, derrière leur apparente évidence, aucun des sacro-saints principes de droit ne va de soi et qu’ils comportent tous une face cachée préjudiciable aux personnes. D’autre part, esquisser ce qui pourrait leur représenter une véritable alternative.