Eugène Mouton ne parlait jamais pour ne rien dire.
Tout de même, ce cher homme, je vais vous le situer, comme on dit. La soixantaine. Taille moyenne. Pas de poil sur le caillou. Beaucoup sous le pif, en cadence ondulée. Du ventre. Peu de cuisses. Des pieds anfractueux, j’entends : pas de pieds plats. J’eus la chance de faire sa connaissance au Du côté de chez Flore, un agréable petit bouchon où se débouchonnaient, excusez-moi, se débouchaient force bouteilles d’une gueuze exquise. On se parla. Il me plut ; je dus lui plaire. On se reparla. On bavarda dans la rue. Sous l’auvent du kiosque à journaux. Sous la marquise du 152, rue Surin. Des porches nous servirent d’abris. Quel meilleur refuge que celui du tramway, à la hauteur de la rue Thermidor ? Mais j’aimais, mais nous aimions plus que tout l’asile des arbres du petit square Marie-Charlotte, organisé autour de son bassin, où crachait un triton asthmatique et paressaient des carassins gras et décolorés.
Gaston Compère (1929-2008), docteur en philosophie et lettres, est un des plus grands écrivains d’expression française. Il a reçu le prix Jean Ray en 1975 pour La femme de Putiphar, le Prix Rossel en 1978 pour Portrait d’un roi dépossédé. En 1988, il a obtenu, pour l’ensemble de son œuvre, le Grand Prix international d’expression française décerné par la Fédération internationale des Écrivains de langue française et, en 1989, le Grand prix de Littérature de la francophonie. Outre ses romans, il fut aussi poète, compositeur, dramaturge, romancier, nouvelliste et traducteur, notamment du Livre d’Heures de R. M. Rilke (Le Cri, 1989).
En savoir plusRipple-marks (1976) est peut-être le plus grave des livres de Muno.
Les chapitres de cet essai, pourtant écrits à divers moments et dans des circonstances variées, sont reliés par un fil conducteur : un regard spirituel sur le monde, qui transcende les expressions poétiques singulières de chacun des auteurs étudiés. Un tel regard est aujourd’hui urgent et nécessaire, et la poésie est à même de le susciter. En effet, elle « offre un démenti calme, clair et ferme à ce qui verrouille le langage humain dans l’étroitesse du matérialisme, le mensonge du mercantilisme ou l’impasse du nihilisme » (Myriam Watthee-Delmotte).